Chapeau : Sai Baba est le gourou le plus en vue en Inde: il a des millions et des millions d’adeptes, épate les foules en “matérialisant” des objets et les premiers ministres se prosternent devant lui.
…Depuis deux heures de l’après-midi, des volontaires, reconnaissables à des foulards de scout noués autour du cou, guident les fidèles vers leurs places : les femmes sont placées à droite, les hommes à gauche et les Etrangers sont regroupés par nationalités – Français, Allemands, Hollandais, Américains, Japonais… Devant, on place les privilégiés : les VIP, les ministres, les vieux disciples, les officiels de ashram… Tous ceux que le ‘dieu vivant’ va apercevoir en premier lorsqu’il se promènera tout à l’heure parmi l’assistance.
Aujourd’hui, près de dix mille disciples se retrouvent dans cet immense temple dont le haut plafond orné de feuilles d’or, est soutenu par des piliers à l’ancienne, où sont gravées des scènes du Mahabarata, le grand poème épique de le tradition hindoue. Devant, une immense scène nue – hormis un trône sculpté en bois de santal – flanquée de bas reliefs représentant les quatre grandes religions de l’humanité : Le Christ, en compagnie de brebis, le Coran surmonté du croissant de l’Islam; et à droite, le Bouddha, avec ses quatre compagnons et puis Krishna, le ‘dieu bleu’ de l’Hindouisme. Les fidèles sont disciplinés, silencieux, concentrés dans la seule attente du “darshan” – littéralement “vision lointaine” en sanskrit – de leur gourou.
A 16 heures pile, une douce mélopée (qui fait un peu musique spiritualisée de Prisunic) se fait entendre – et presque magiquement – Sai Baba apparaît soudainement de derrière le rideau rouge, à l’extrême droite de la scène. Il reste longtemps immobile, la paume de sa main droite levée vers le ciel, le pouce formant un cercle avec l’index, comme s’il demandait à tout le monde de se lever. Mais en fait, indiquera plus tard un disciple, “c’est une exhortation aux âmes à s’élever hors des contingences humaines” ! L’homme, qui a l’air extrêmement frêle, est revêtu d’une étrange robe de soie orange qui lui moule le corps; il est noir de peau, a un nez épaté, les traits négroïdes de certaines tribus de l’Andhra Pradesh, et arbore une superbe chevelure afro d’un noir de jais. Est-elle teintée ? Car lorsqu’il descend les marches de la scène et se met à déambuler à petits pas hésitants parmi la foule, on réalise que l’homme est beaucoup plus vieux qu’il ne le paraît : il aura 73 ans en Novembre prochain.
L’extase se lit sur les visages des fidèles, Occidentaux et Indiens, qui ont tous joint le mains. Sai Baba s’arrête auprès d’une vieille disciple américaine pour lui dire quelques mots en Anglais, qu’il parle fort bien, fait signe à un Ministre, qui lui touche les pieds en signe de respect et prend de temps en temps des mains d’un fidèle une enveloppe, contenant prières, ou demande de bénédictions pour une nouvelle entreprise. Les lira-t-il ? “Le seul fait que notre gourou ait touché l’enveloppe suffit à exaucer nos voeux”, chuchote un officiel de l’ashram. Enfin, le dieu vivant fait ce que tout le monde attend de lui : devant un disciple particulièrement méritant, Sai Baba agite sa main vide dans un geste de prestidigitateur, puis verse dans le mouchoir tendu par l’heureux élu du “vibouti”, les cendres sacrées avec lesquelles les Hindous se marquent le front. Aujourd’hui, il répétera trois fois la ‘matérialisation’, mais se contentera des cendres et non de l’or et de l’argent, ou encore des diamants, comme à son habitude (voir encadré).
Nous sommes à Puttaparthi, autrefois un minuscule petit village perdu dans les collines arides de l’Andhra Pradesh, au sud de l’Inde. C’est là qu’à l’âge de quatorze ans, Sathyanarayana, né de parents pauvres, déclara qu’il était la réincarnation de Shirdi Sai Baba, un grand Sage musulman mort quinze ans plus tôt. Les “miracles” du nouveau “baba” (Sage) font vite le tour du district, puis de l’Inde et bientôt du monde, et rapidement un ashram se forme autour du jeune prodige. Soixante ans plus tard, Puttaparthi est devenue une véritable ville. Le gourou s’est d’ailleurs gagné la sympathie des villageois non seulement en apportant prospérité à Puttaparthi, mais aussi en investissant les milliards de donations de ses fidèles, qui comptent souvent parmi les gens le plus riches de l’Inde (et Dieu sait qu’il y a d’argent dans ce pays réputé pauvre) pour soulager leur misère. Cette région aride de l’Andhra Pradesh manque par exemple cruellement d’eau. Qu’importe : Sai Baba a dépensé vingt milliards de roupies pour subvenir aux besoins d’eau potable de chaque village du district ! La première chose qui vous frappe également quelques kilomètres avant Puttaparthi, c’est un aéroport ultra moderne, qui des allures de temple. La piste d’atterrissage est assez longue pour accueillir un Jumbo jet et pendant la pleine saison, des Airbus en provenance de Delhi, Bombay ou Madras, déversent quotidiennement leurs cargaisons de riches Indiens, Français, Américains, ou Japonais, qui se saluent tous joyeusement en criant “Sai Ram”, “gloire au Sai Baba” ! Un peu plus loin, on découvre un immense hôpital de 300 lits, dont le toit est coiffé d’étranges minarets. Son directeur, le Docteur Safaya, explique que 400 millions de francs ont été dépensés à sa construction, ainsi que pour importer du monde entier les machines les plus sophistiquées. “Les soins y sont complètement gratuits et il est ouvert à tous quelle que soit leur caste, religion, ou statut social”, précise-t-il. Et le bon docteur, qui connaît bien la France, pour y avoir séjourné plusieurs fois, de citer Ambroise Paré: “je soigne le patient, mais c’est Dieu qui le guérit”. C’est sans doute pourquoi on remarque partout à l’intérieur des images et des statues de Sai Baba, alors que 350 employés, dont des cardiologues italiens ou allemands de réputation mondiale, se penchent sur des patients. L’Université, elle aussi entièrement gratuite, accueille 1500 étudiants venus du monde entier : on y chante à la gloire du Sai, mais on y apprend aussi le Sanskrit, l’Hébreu ou les mathématiques anciens.
Lorsqu’on pénètre enfin Puttaparthi, on est surtout surpris par l’étrange alliance entre le gouvernemental, le commercial et le spirituel : le banques d’état arborent des bannières à la gloire du Swamy (gourou), les entreprises privées, telles les motos Honda, font de la pub avec la photo du maître et les échoppes du village vendant images pieuses ou rosaires. L’ashram, avec 1400 chambres et appartements, est elle même une véritable ville dans la ville. Tout est organisé, réglementé: on est d’abord fiché, puis on vous présente un laissez-passer qui vous donne accès à un logement et au restaurant, où la nourriture est strictement végétarienne mais étonnamment bonne. Ici, les femmes et le hommes sont très sévèrement en ségrégation et même les allées menant au temple sont séparées pour chaque sexe. Mais on a aussi pensé aux enfants – et il y en a beaucoup -(voir encadré) : des boutiques vendent de pizzas, des glaces, des Coca Cola… et tout cela à prix coûtant, car le Sai est contre le profit.
Pour les 70 ans de Sai Baba, l’ashram a accueilli 500.000 fidèles – on en attend le double pour ses 75 ans. Le dieu vivant fut traîné par ses disciples dans un chariot en or devant le yeux du Président et du Premier Ministre indiens. Car en Inde, le Sai Baba fait l’unanimité, même parmi les hommes politiques, et les controverses qui l’entourent – matérialisations, richesse ostentatoire – (voir encadré), effleurent à peine la ferveur que lui accordent les fidèles. ”Pour nous, il symbolise l’Amour divin manifesté sur terre – et cela nous suffit”, explique simplement le Docteur Safaya.
ENCADRE SAI BABA LE MAGICIEN ET SES CONTROVERSES
Sai Baba est la bête noire en Inde des sociétés rationalistes, des athées et des communistes. On l’a par exemple souvent accusé de réaliser ses ‘matérialisations’ grâce à un sac caché sous l’aisselle, qui par un jeu de ficelles laisserait tomber quelques grammes de cendres, de l’or ou des diamants. Mais en cinquante ans de matérialisations, jamais personne n’a pu l’attraper. Par contre, l’Inde regorge de disciples qui jurent avoir vu ces ‘miracles’ peu cartésiens – et pas des moindres. Le Major Général Paul, par exemple, Directeur de l’Indian Advanced Studies de Bangalore, un Institut tout ce qu’il y a de sérieux, certifie “avoir vu le Baba transformer devant ses yeux sa bague de vulgaire cuivre en argent pur”. Mr Shah, un célèbre homme d’affaires de Bombay, affirme avoir été le témoin “de la matérialisation d’un collier en or lors du mariage de la fille d’un ami”. Il y a ainsi en Inde des centaines de milliers de disciples, qui se portent garants de ces “miracles”.
ENCADRE : LE CONCEPT DU GOUROU ET LES OCCIDENTAUX
“Le concept ‘gourou-chela’ (du gourou au disciple), est indissociable de la vie indienne”, explique, Prasant Pal, un des premiers disciples de Sai Baba. Et il enchaîne : “nous les Indiens, nous abandonnons tout à nos gourous – nos corps, nos âmes, nos fortunes – car au delà de ses imperfections humaines, c’est Dieu que nous vénérons en lui”. C’est ainsi que cette notion a régi de nombreux domaines de la société indienne : dans l’ancien temps – et de nos jours encore – on trouve en Inde des milliers d’ashrams réunis autour d’un maître; ce système s’est également appliqué à d’autres domaines de la vie de l’Inde – la musique par exemple, où l’étudiant doit être encore aujourd’hui accepté par un maître, devant lequel il se prosterne avant chaque leçon et auprès duquel il mène lui une vie très disciplinée, qui unit le spirituel au musical. C’est cependant cet abandon corps et âme à un autre être humain, ce renoncement du libre arbitre, qui fait tant peur aux Occidentaux. “C’est la porte ouverte à toutes les sectes”, accuse un expatrié français en poste à Delhi. Ce à quoi Prasant Pal rétorque “que nous vivons très naturellement cette relation de disciple à gourou, car nous estimons que ce n’est pas notre libre arbitre que nous lui abandonnons, mais notre ego : son arrogance, son ignorance et ses prétentions intellectuelles”. Il ajoute même : “vous les Occidentaux qualifiez de secte tout ce qui sort du domaine de la Chrétienté, mais ne vous rendez-vous pas compte que la spiritualité indienne a 5000 ans” ?
Mais il est vrai aussi que les Occidentaux n’ont pas la même facilité que les Indiens dans le domaine spirituel : “dans leur enthousiasme, enchaîne Prasant, les Européens nous imitent, il s’habillent comme nous, font les mêmes gestes, profèrent le mêmes phrases; et ce qui paraît naturel chez un Indien, semble forcé et un peu artificiel chez eux”. On a également reproché aux Occidentaux d’amener leurs enfants à l’ashram de Sai Baba et de les endoctriner ainsi d’une certaine manière. Mais ce n’es pas l’avis de Pierre et Christine S, qui vivent depuis six mois à Puttaparthi, en compagnie de leurs deux jeunes enfants : “c’est la plus merveilleuse éducation que nous puissions leur donner, car ils touchent ici à une liberté intérieure à une dimension spirituelle que l’Occident a complètement perdues dans sa soif de matérialisme”.
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