Une frenchie à Bollywood
Entretien avec la star montante du cinéma d’auteur indien, Kalki.
Kalki Koechlin, 28 ans, née à Pondichéry de parents français, a grandi dans les hauteurs du Tamil Nadu. Depuis trois ans, elle s’est imposée dans le grand univers de Bollywood et livre en exclusivité ses souvenirs en France, ses sentiments sur Bollywood et le nouveau cinéma d’auteur indien dont elle est une des égéries.
LNRI : Comment êtes-vous arrivée ici?
Kalki : Mes parents sont venus en Inde séparément et se sont retrouvés à Auroville (une ville internationale située près de Pondichéry) et ils sont restés, car ils ont aimé cet idéal et je suis donc née ici.
LNRI : Alors, être en Inde, c’est un choix ? À quel moment s’est-il fait?
Je n’ai jamais vécu autre part, j’ai une culture française, mais l’attrait de l’Inde a été plus fort que celui de l’Occident. C’est ma maison, c’est chez moi. J’ai eu une enfance très heureuse, j’ai appris le Tamoul, tous mes amis sont Indiens. En fait lorsque j’étais petite, je ne sentais jamais que j’étais ‘blanche’.
Ce sont les adultes qui m’ont fait sentir que j’étais blanche, quand ils ont commencé à me regarder différemment. Mais c’est vrai, lorsque j’étais jeune, je pensais que l’Occident était beaucoup mieux que l’Inde et je rêvais d’y aller. Je m’y suis rendue la première fois lorsque j’avais neuf ans ; mais j’ai voulu rentrer en Inde assez vite, car je n’étais pas comme tout le monde, j’avais un accent, j’étais différente des autres enfants, et je ne me sentais pas aussi à l’aise qu’eux. Mais j’ai fait du ski et découvert la neige que je n’avais jamais vue !
LNRI : Et plus tard ?
Je suis allé faire mes études à Londres à 18 ans. Londres est certes une belle ville, mais très chère et très dure. J’avais le reverse culture-shock, pas de soutien familial, ni moral, pas d’espace. Il ya trop de gens centrés sur eux-mêmes, mais cela m’a fait grandir également.
LNRI : J’ai lu un de vos articles dans le Hindustan Times, où vous dites « nous »en parlant des Indiens
J’ai fait un choix qui n’était pas intellectuel, mais un choix spontané de mon identité indienne. Cela ne veut pas dire que je rejette mon identité française – mais je n’ai jamais vécu en France, hormis de brèves visites. Je suis très peu connue en France, excepté la fois où France 2 m’a interviewée et un article dans le Monde.
LNRI : Pourquoi le cinéma ?
J’ai toujours adoré le théâtre, j’en faisais à l’école, puis comme je vous l’ai dit, je suis parti l’étudier à Londres. J’ai appris aussi le script-writing, l’histoire du théâtre, les grands écrivains de théâtre, les classiques etc. C’est très thérapeutique le théâtre, il faut chercher beaucoup plus au-dedans de soi, et on découvre combien nous sommes fragiles. Nous sommes tous des acteurs, chacun a différents masques. Ce qui me fascine, c’est comment on passe d’un masque à l’autre dans la vie, sans s’en rendre compte. Le théâtre et le cinéma, c’est aller d’un masque à l’autre consciemment et à volonté. L’évolution personnelle, c’est de se perfectionner moralement, intellectuellement et spirituellement et je crois que le théâtre peut nous aider dans ce procédé. La spiritualité indienne soutient cette théorie, même si je suis pour un cheminement personnel et que je ne pratique pas de spiritualité mais le théâtre est une sorte de méditation. Il y a de choses que je ressens quand je fais du théâtre qui ne sont pas explicables, qui vous portent « quelque part ».
LNRI : Parlez-nous de votre carrière.
Quand je suis rentrée en Inde après mes études à Londres, j’ai d’abord cherché du travail dans les théâtres de Bangalore et j’ai finalement obtenu une audition pour une pièce à Bombay. J’ai été prise et je me suis installée à Bombay. Je vivais en étant mannequin et j’écrivais des scénarios. Mais on me proposait toujours des rôles stéréotypés avec des minijupes et des danses Bollywood. Finalement, Anurag Kashyap, un jeune metteur en scène indien, m’a proposé un rôle important dans le film qu’il préparait – à condition que j’apprenne à parler Hindi en 2 mois ! J’ai dit oui tout de suite. Ce film, Dev.D, adapté du roman de Sarat Chandra Chattopadhyay, a remporté beaucoup de succès et a lancé ma carrière. Pendant le film, Anurag a été très correct, mais lorsque le tournage a été terminé, il m’a demandé de sortir avec lui.
LNRI : Comment se passe le choc de la femme blanche en Inde dont vous parlez ?
Cela a commencé très jeune, dès 11 ans, les garçons venaient me parler parce que j’étais blanche, et ils n’avaient pas le même respect pour moi que pour les Indiennes. Enfant, je n’y pensais pas trop, sinon je serais devenue folle. Mais cela se produit toujours dès que je vais quelque part.
LNRI Pourquoi la plupart des hommes indiens pensent-ils que les blanches sont des femmes faciles ?
Ils regardent des séries américaines comme Baywatch et ils pensent que cela se passe comme cela dans la vie. Ce qu’on connaît de l’Occident en Inde, à travers la télévision, ce sont des séries Hollywood très bas de gamme, comme Bold and Beautiful, ou alors des blockbusters sans qualité intellectuelle. Les Indiens ont très peur de ce qui va se passer. On veut l’occidentalisation à outrance, les supermarchés, les voitures, les produits de consommation, et en même temps on reste très moraliste : « on ne peut pas perdre nos valeurs indiennes ».
LNRI : Que pensez-vous de la censure dans le cinéma indien ?
Il ya une grande confusion. Quand vous voyez les vieux films indiens comme Umran Jan, ils étaient beaucoup plus mûrs sexuellement. Aujourd’hui, on sait dire des gros mots, on montre beaucoup de violence, mais à l’intérieur, on ne cerne pas le sujet. Un film qui parle de la sexualité, comme Life in the Metro, où deux adultes complètement habillés parlent de sexe, est censuré. Mais les films de Bollywood, dans lesquels les filles sont à moitié déshabillées et font des gestes obscènes, passent la censure. Dans le premier film que j’ai tourné, je joue une prostituée, mais il n’y a pas de scène explicite, justement pour contourner la censure. Mais pour moi, cela ne fait rien, c’est le personnage qui compte.
LNRI : Et le fait que dans le cinéma indien, on interdit (presque) toujours de montrer des acteurs qui s’embrassent sur la bouche ?
Je crois que la colonisation britannique a imposé une culture victorienne qui perdure en Inde, alors que c’est le pays du Kama Sutra. Alors les jeunes en Inde, ne savent plus très bien où ils se trouvent, ils ont envie de liberté et en même temps, ils sont emprisonnés dans le carcan de leur culture.
LNRI Que pensez-vous de ces produits de beauté de plus en plus répandus, censés rendre la peau blanche ?
Oui, il y a une obsession de la peau blanche ici. Pendant longtemps, on ne m’a offert que des rôles caricaturaux de Blanche et je leur répondais « je suis noire dedans, mais comme Obélix, je suis tombée dans une marmite qui m’a rendue blanche » ! Il y a ce miroir qu’est Bollywood, qui montre de plus en plus de figurantes occidentales qui se trémoussent, ce qui peut donner l’impression que c’est à la mode d’être blanche…
LNRI : C’est un problème pour vous ?
Oui, c’est un problème avec lequel je vais devoir vivre toute ma vie : j’ai la peau blanche et mon cœur est noir…
LNRI : Parlons de Yellow Boots votre deuxième film avec Anurag?
C’est l’histoire d’une jeune anglo-indienne à la recherche de son père, qui travaille dans un massage parlour de Bombay. C’est un film un peu âpre et sombre, mais ce fut un grand succès en Inde. Il est même sorti en Allemagne, en Belgique, en Amérique et en Angleterre, mais pas encore en France. C’était mon rôle le plus dur. Je pense toujours que j’aurais pu faire mieux. J’ai aidé à écrire le scénario d’ailleurs.
LNRI : Que pensez-vous de Bollywood ?
Les films Bollywood, même s’ils ne reflètent pas la réalité indienne, c’est souvent n’importe quoi, c’est de l’escapisme, mais en même temps, cela émane aussi de l’ancienne culture indienne, avec ses chants, ses danses et son indianité. Et Bollywood reflète également cette grande qualité indienne qui est celle de l’espoir : même lorsque vous êtes au fond du trou, il y a la lumière au bout. C’est pour cela qu’il y a toujours beaucoup d’effets dramatiques dans les films de Bollywood et puis ces happy-endings, qui peuvent sembler à certains un peu kitch et à l’eau de rose. Tout ce qu’on a en Inde, la culture, la religion, c’est pour rêver et on croit tellement en Dieu, on a un Dieu pour tout, afin d’espérer. Et je crois qu’il y a cela dans Bollywood.
LNRI : Vous défendez donc Bollywood ?
Non, non, je ne peux plus regarder des films de Bollywood : c’est tellement toujours la même histoire ! Il y a toujours ces filles super sexy et ces froufrous et pour justifier cela, on ajoute quelques pincées de leçons morales et tout se finit bien…
LNRI : Il y a un nouveau cinéma qui émerge en Inde ?
Oui, un cinéma commercial, mais qui essaye de refléter davantage la réalité indienne, avec des films qui fustigent la corruption et le pouvoir autocrate, comme les films de Vishal Bharadwa qui a dirigé Kaminey et Bhardwaj Maqbool, qui s’appuie sur Macbeth de Shakespeare. Il y a aussi Paan Singh tomar, un très beau film, l’histoire d’un coureur oublié qui est devenu un bandit.
LNRI : Qu’avez-vous pensé de Slumdog Millionaire ?
Le grand problème de ce film selon moi est l’accent des gens qui n’était pas du tout indien. Les gens des slums qui parlent avec un accent anglais c’est difficile à croire, alors cela me dérange. J’adore Danny Boyle mais l’image de Bombay qu’il dépeint est une caricature. Je n’ai pas compris ce film, c’était bien fait, mais c’était l’Inde pour l’Occident, c’est-à-dire ce que l’Occident pense de l’Inde, d’où son succès.
LNRI : Quels films indiens nous conseillez-vous ?
Les films de Guru Dutt, en particulier Pyaasa, kagaz ke phool et sahib, biwi aur Ghulam. Amitabh Khan est le plus grand acteur indien, tout le monde veut le copier, c’est une véritable adoration. Mais moi, je préfère Rambir Kapoor, il est jeune mais essaye de faire bouger les choses. Irfan Khan est un très bon acteur classique, mais il n’a jamais eu la réputation qu’il méritait.
LNRI : Votre prochain film?
Je viens de tourner Shangai, un film grand public. Malheureusement, je ne reçois pas assez de scénarios à lire, à part des rôles de blanche stéréotypée, ou alors des films totalement commerciaux, où la femme est juste un accessoire. Souvent aussi les scénarios sont très décousus et partent dans tous les sens. En plus, il y beaucoup de plagiat dans les scénarios indiens qui reprennent souvent des films de Hollywood scène par scène, pourtant on a tellement à dire en Inde.
LNRI : Votre avenir ?
En Inde bien sûr ! Je ne veux pas d’enfants, alors ca se résume à : ma carrière, mon mari, et l’Inde mon pays.
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