Un historien britannique publie au Royaume-Uni « Gandhi : Naked ambition », un essai décrivant la sexualité complexe du leader indien, qui malgré son vœu de chasteté, continuait à aimer les femmes. Et parfois celles de sa propre famille
Gandhi n'a pas l'air bien coquin, avec son dhotî austère et ses lunettes rondes. Le livre de Jad Adams, dont la prochaine sortie en Inde risque d'être mouvementée, montre pourtant que l'habit ne fait pas le moine.
Il est de notoriété publique que les premières années d'activité sexuelle de « Bapu » lui ont laissé un goût amer. Lui-même raconte, en effet, dans le neuvième chapitre d'« Autobiographie ou mes expériences de vérité » qu'il faisait l'amour avec sa femme la nuit où son père mourut. En plus d'être perturbé par son peu de piété filiale, il crut toute sa vie que cette légèreté avait causé, par la suite, la mort prématurée du nourrisson né du coït coupable.
Il se rangea à 37 ans, après 24 années de vie conjugale qui lui donnèrent quatre enfants. C'est ici que le livre de Jad Adams devient intéressant, même si un certain nombre de ses révélations étaient déjà présentes ailleurs, et notamment dans une biographie que Jacques Attali a consacré au Mahatma Gandhi. Il prononça donc un Brahmacharya, un vœu d'abstinence sexuelle (Gandhi, pas Jacques Attali). Cela se passa en Afrique du Sud, pendant la révolte des Zoulous de 1906. Gandhi s'était engagé dans un corps d'ambulanciers : « L'idée m'illumina soudain que si je devais me vouer au service de la communauté, je devais abjurer tout désir d'avoir des enfants et de m'enrichir, et mener la vie d'un Vanaprastha - de l'homme qui s'abstrait des soucis d'un foyer.» Il décida de mener cette expérience corporelle de « contrôle des sens, tant en paroles qu'en actes ».
Jad Adams relève alors un fait pour le moins piquant : quand Gandhi parle de sexe, il ne pense qu'à la stricte pénétration. « Il définit le sexe si précisément, a-t-il expliqué à l'AFP, qu'il ignore plusieurs pratiques que beaucoup considèrent comme sensuelles, sinon sexuellement actives.» Bill Clinton, pendant son hilarante déposition devant le Grand Jury lors du « Monicagate », n'a rien inventé. Pour Gandhi, la chasteté a ainsi pu inclure le fait de se coucher nu avec des femmes et de se faire « stimuler » - on mettra ce qu'on veut derrière le terme « stimuler ».
Et il ne se faisait pas stimuler par n'importe qui : parmi les nombreuses filles, parfois nubiles, qui fréquentaient ses ashrams et qui ont pu partager une nuit avec lui, il y eut sa petite-nièce Manu., tout juste âgée de 18 ans Le plus étonnant dans cette affaire, c'est que les femmes qui se couchaient avec Gandhi étaient parfois mariées, ce qui n'empêchait pas le vieux sage d'interdire aux couples de l'ashram de dormir ensemble.
Gandhi, « fakir à demi-nu » ?
Le but qu'il poursuivait lors de ces siestes semi-crapuleuses n'était pas sexuel. Ou du moins le jurait-il : l'idée était de mettre son vœu à l'épreuve de son appétit libidinal. « Il voulait voir si le sexe pouvait être contrôlé, explique Jad Adams, parce qu'il en sentait le pouvoir. » Gandhi était un drôle de personnage. Ses nombreux écrits sont truffés de considérations sur le sexe, sur les bains froids qu'il faut prendre pour résister à la tentation, ou sur la signification de ses fréquentes éjaculations nocturnes. Nehru se moquait de lui parce qu'il conservait son sperme, qu'il voyait comme une source d'énergie spirituelle. Pourtant, malgré cette obsession, il ne songea jamais à rompre son vœu. Ni avec sa femme Kasturba, l'épouse dévouée qui ne savait pas lire ; ni même avec Sarala Devi, la poétesse dont il tomba éperdument amoureux à 50 ans et qu'il dut quitter pour conserver son image auprès du petit peuple.
L'essai de Jad Adams n'apporte rien de vraiment nouveau. Il permet toutefois de rappeler qu'il ne faut pas confondre les grandes figures de l'Histoire avec l'image qu'ils tentent de laisser à la postérité. Les bizarreries de Gandhi lui ont valu bien des ennuis politiques. Son mysticisme a exaspéré beaucoup de monde, depuis le clan Nehru jusqu'à ses collègues chefs d'Etat. Winston Churchill l'appelait ainsi « le fakir à demi-nu ». Il disait sans doute « à demi-nu » parce qu'il n'avait pas dormi avec lui dans son ashram aux mille plaisirs.
D.C.
=> Gandhi : son discours fondateur de la non-violence
Autre critique du livre
Nehru, Premier ministre à l’indépendance de l’Inde, trouvait ainsi les instructions de Gandhi sur le sexe «anormales et non naturelles». Mais s’il conseillait aux couples fraîchement mariés de rester chastes «pour le bien de leur âme», le leader, lui, partageait son lit ou sa baignoire avec des femmes « pour renforcer son contrôle de soi ». Il racontait ainsi les bains partagés avec la sœur de sa secrétaire :
Pendant qu’elle prend son bain, je garde les yeux fermés. Je ne sais pas si elle se baigne nue ou en sous-vêtement. Je peux dire au bruit qu’elle utilise du savon.
La plupart des faits relatés dans le livre étaient connus à la mort de Gandhi mais ont été effacés par sa famille pour créer un mythe sans taches. Jusqu’à son assassinat en 1948, ses pratiques étaient communément commentées mais après sa mort, les détails sur sa vie privée ont laissé place à une image plus consensuelle d’icône nationale. Quant à sa femme qu’il épousa quand elle avait 13 ans, elle aurait, bon gré, mal gré, accepté l’abstinence et les expériences sexuelles.
L’express 2011 :Une biographie de Gandhi laissant penser que le "Père de la nation" indienne était bisexuel pourrait amener l'Union à emprisonner toute personne insultant le célèbre guide spirituel et politique.
"Le mahatma Gandhi est vénéré par des millions de personnes, non seulement en Inde mais dans le monde entier. Nous ne pouvons permettre à personne de tirer des conclusions désobligeantes sur des figures historiques et de les dénigrer. L'histoire ne nous le pardonnerait pas", a déclaré le ministre de la Justice, M. Veerappa Moily, au journal indien Express.
Un amendement à la loi indienne de 1971 sur l'honneur national pourrait assurer au personnage de Gandhi une protection analogue à celle qui s'applique à la constitution et au drapeau national. Toute insulte le visant serait passible de prison.
La biographie "Great Soul: Mahatma Gandhi and his Struggle with India" (Grande âme: le mahatma Gandhi et sa lutte avec l'Inde) a pour auteur Joseph Lelyveld, lauréat du prix Pulitzer. Il y étudie la correspondance échangée en 1908 par le pionnier et théoricien de la non-violence avec un culturiste juif allemand, Hermann Kallenbach.
A l'appui de la thèse de la bisexualité, des chroniques du livre publiées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne citent une lettre dans laquelle Gandhi confie à Kallenbach qu'il a "entièrement pris possession de (son) corps". Pour Andrew Roberts, chroniqueur au Wall Street Journal, l'ouvrage fait apparaître Gandhi comme un "drôle d'oiseau" sur le plan sexuel.
Lelyveld nie que son livre présente Gandhi comme bisexuel.
Par une décision rendue en juillet 2008, la haute cour de Delhi a estimé que l'homosexualité n'était pas un délit, mais des dispositions législatives de l'ère coloniale incriminant les relations homosexuelles n'ont pas été abrogées et la question reste taboue.
L'Etat occidental du Gujarat, dont Gandhi était originaire, a interdit mercredi la vente et la distribution de la biographie. Celui de Maharashtra prend également des mesures pour son interdiction, indiquent des médias locaux.
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