« Nous ne pouvons nous permettre d’être militairement faibles : regardez comment L’ONU et le Conseil de sécurité ne peuvent rien à l’agression de l’Otan en Yougoslavie », tonnait M. Vajpayee, Premier Ministre sortant, à l’occasion de l’anniversaire des essais nucléaires indiens. Et il concluait : « nous pourrions faire d’autres essais si nécessaire, afin qu’aucun pays n’ose à l’avenir attaquer l’Inde ».
Rappelez-vous: il y a un peu plus d’un an, le monde se frottait les yeux lorsque L’Inde testait cinq engins atomiques d’une puissance totale de quelque 60 kilotonnes, justifiant ce geste spectaculaire par une menace de ses voisins le Pakistan et la Chine. Pour ne pas être en reste, le Pakistan répondait par six tests. Et la possibilité d’un conflit nucléaire dressait soudainement son spectre terrifiant en Asie du sud. Immédiatement, les Etats Unis imposaient de lourdes sanctions aux deux frères ennemis du sous-continent, sanctions qui frisaient quelquefois le ridicule: on refusa par exemple des visas à des savants indiens qui n’avaient rien à voir avec le nucléaire et le F.M.I. bloquait tous les prêts, même certains dons humanitaires… Les Américains pensaient alors que l’Inde et le Pakistan signeraient rapidement le CTBT et qu’ils gèleraient leurs programmes de missiles. Qu’en est-il donc un après ?
« Economiquement, il est évident que l’Inde a démontré qu’elle a les reins bien plus solides qu’on ne le pensait », fait remarquer un diplomate de la capitale. La roupie a en effet tenu le coup face à la dévaluation d’autres monnaies d’Asie et la Bourse indienne a même pris un temps son envolée. Et malgré les sanctions américaines, le gouvernement du BJP continue à tenir tête aux Etats Unis, en refusant de signer le CTBT, tant que les 5 Grands ne reconnaissent pas ses besoins en matière de dissuasion. Il n’en va pas de même pour le Pakistan, qui il y a six mois était au bord de la faillite. Et c’est, paradoxalement, sous la pression des USA, que la Banque Mondiale et le FMI vinrent à son secours. Aux cris d’indignation des Indiens, on répondit discrètement à Washington « que si on laissait le Pakistan en banqueroute, on risquait d’y voir apparaître un islamisme dur, tel celui pratiqué en Afghanistan et que Washington perdrait un bastion prodémocratique en Asie ». Politiquement, Le gouvernement du Bharata Janata Party a pu se vanter au lendemain des essais nucléaires d’avoir redonner une fierté à un pays en mal de nationalisme. Mais pour beaucoup, il ne sut pas profiter de la vague de popularité que cela engendra, et ne prit pas des décisions économiques impopulaires, telle la privatisation de grandes entreprises nationales, qui saignent l’état à blanc depuis 50 ans. En politique extérieure, l’Inde souffrit énormément de ses tests. La Chine manifesta immédiatement un mécontentement, qui frôla parfois l’hystérie et que certains qualifièrent d’hypocrite(voir encadré). Les autres voisins d’Asie du Sud furent moins vociférants, mais tout aussi sévères. Le Japon, suspendit ses prêts, l’Australie retira un temps son ambassadeur et l’Indonésie fit savoir son opposition. Tout cela n’empêcha pas l’Inde de poursuivre une politique nucléaire cohérente : elle a mis en place un programme de missiles balistiques, un système de commande et de contrôle d’armes atomiques et a défini une doctrine de dissuasion minimum. Et dernièrement, les savants indiens testaient le missile Agni II, capable de porter des têtes nucléaires jusqu’à 3500 km. Les Américains soupçonnent par ailleurs les Indiens de travailler sur l’Agni III d’une portée de 5000 km et qui pourra frapper toute les villes chinoises.
Cela ne veut pas dire que le nucléaire fasse l’unanimité en Inde. On sait par exemple que si Sonia Gandhi venait au pouvoir, il y aurait de fortes chances pour qu’elle gèle ou retarde le programme de missiles indiens et signe rapidement le CTBT. Il existe également en Inde un fort lobby antinucléaire, mené par des intellectuels de marque, tels l’écrivain Arundhadi Roy, des journalistes et même un savant atomique et un général à la retraite – ainsi va la démocratie. Mme Roy estime ainsi « qu’une course nucléaire en Asie du sud, une région extrêmement pauvre, est une absurdité sans nom ». Cependant, leurs critiques font valoir que depuis les explosions nucléaires indiennes, suivies de celles du Pakistan, les deux frères ennemis ont quelque peu amélioré leurs relations. En Février dernier, Vajpayee se rendait par exemple en bus au Pakistan, où il rencontrait son homologue pakistanais; les deux voisins se préviennent maintenant avant chaque tir de missiles; et on fait attention de ne pas dépasser certaines limites d’engagement au Cachemire. La doctrine de dissuasion nucléaire marcherait-elle en Asie du sud ?
François Gautier
ENCADRE : ET LES CHINOIS ?
« Quand on sait que les Chinois ont subtilisé pas mal de secrets nucléaires aux Etats Unis et que le Congrès américain les accuse d’avoir fourni au Pakistan une partie de sa technologie nucléaire, on peut s’étonner de la morale qu’ils nous ont faite après nos tests nucléaires », fulmine un officiel du Ministère des Affaires Etrangères. Le Ministre indien de la Défense, Georges Fernandes, a qualifié la Chine « d’ennemi N°1 de l’Inde », car il rappelle que les Chinois détiennent toujours plusieurs milliers de kilomètres carrés de territoire indien ravi lors de la guerre de 1962, qu’ils revendiquent toujours l’état de l’Arunachal Pradesh et que d’après la CIA, 90 missiles balistiques intercontinentaux seraient placés sur le plateau du Tibet, dont les CSS-4, missiles d’une portée de 8000 miles, qui ont été déployés entre Quingha et Sichuan, dans la province d’Amdo et sont capables d’atteindre les États Unis, l’Europe et toute l’Asie.
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