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Photo du rédacteurFrancois Gautier

L’INDE VA-T-ELLE VERS UN DESASTRE ECOLOGIQUE ?

Simla, Himalaya indiens. Autrefois, on appelait cette ville, située à 2200 mètres d’altitude parmi des cèdres tricentenaires et des sapins qui s’élancent vers le ciel,  » la perle des Himalaya « . Les Shahibs britanniques y envoyaient femmes et enfants pendant les grosses chaleurs qui terrassaient les plaines avant la mousson d’Août; et un moment, le gouvernement se déplaçait même en Mai, avec armes, bagages et coolies. Les Gracieux sujets de Sa Majesté y avaient recréé une miniAngleterre: petits bungalows avec leur jardin à l’anglaise, où fleurissaient dahlias et pétunias; à l’intérieur, l’eau canalisée des torrents sortait claire et fraîche de beaux robinets en cuivre importés d’Europe; et on avait appris aux cuisiniers du cru à concocter des rosbif à la marmelade et des puddings aux raisins du Bengale. Mais aujourd’hui, Simla présente un triste spectacle au touriste qui ose s’y aventurer, alléché par des prospectus dithyrambiques: la plupart des ravissantes maisonnettes ont été rasées pour faire place à de laids appartements que les promoteurs vendent à des prix insensés aux nouveaux riches de New Delhi; il y a longtemps que les cèdres et les sapins ont été abattus pour nourrir l’appétit toujours plus vorace des grandes scieries de la plaine; et la seule eau potable que l’on y trouve est minérale, car toutes les sources se sont asséchées.

Maneka Gandhi, l’autre belle-fille d’indira Gandhi, qui fut un excellent Ministre de l’Environnement, vient de lancer un avertissement:  » D’ici 25 ans, notre population aura dépassé le milliard et demi et aura tout envahi: les villes, les campagnes, les montagnes et annihilé 60 ans d’effort , ainsi que les gains de la libéralisation économique « . Et déjà, New Delhi, qui était autrefois une des plus belles villes en Inde, la plus ancienne, la plus verte, est devenue une des métropoles les plus polluées au monde, dépassant même certains jours les niveaux de Mexico.  » Demain, toute l’Inde sera tellement polluée par les voitures et les usines qui déversent les déchets dans toutes les rivières, que toute vie végétale et animale aura pratiquement disparu du sous-continent. Il n’y aura plus d’eau potable, excepté dans le bouteilles d’eau minérale. Et le pays entier sera tant inondé de plastique, qu’il sera matériellement impossible de s’en débarrasser « , surenchérit Maneka Gandhi. Car malheureusement, l’Inde est devenue la civilisation du plastique: finies les belles cruches en terre qui gardaient l’eau si fraîche en été, les merveilleux récipients en cuivre et en bronze, où l’on servait le dal (lentilles), le curd (yaourt) et les gulab jamuns (sucreries). Aujourd’hui tout est en plastique: même le compost qui sert à enrichir les champs des paysans du Tamil Nadu, est jonché de sacs en plastique.

Mais qu’en est-il des forêts ?  » En 1950, affirme le Dr M.S. Swaminathan, un célèbre écologiste, 1/3 de l’Inde était encore couverte de forêts. Mais depuis, un territoire grand comme la Suisse est déboisé chaque année, soit près de 2 millions d’hectares; ce qui fait qu’aujourd’hui seulement 11% des forêts recensés par le gouvernement ont une densité qui mérite le nom de forêts – et encore, seules 3% d’entre elles sont réellement protégées des tribus qui y empiètent constamment « . Le Dr Swaminathan accuse les propriétaires des grandes scieries de déboiser l’Inde, de mèche avec des politiciens corrompus. Il ajoute que le Ministère de l’environnement trafique les statistiques, afin de démontrer que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et ferme les yeux sur la  » colonisation  » écologique de l’Inde. Il cite ainsi le cas d’un arbre rare de l’Himalaya,  » l’Himalayan Yew « , dont l’écorce possède des propriétés anti-cancer. Son abattage a été interdit aux Etats Unis dans les montagnes Rocheuses; aussi les multinationales pharmaceutiques se rabattent-elles sur l’Inde, où l’arbre va bientôt disparaître dans l’indifférence générale.

Et la catastrophe écologique s’accélère de plus en plus. La ligne de chemin de fer Konkan, qui relie Bombay à Goa, a coupé, tel un bulldozer fou, à travers quelques unes des plus belles forêts des ghats (montagnes) occidentales – et cela malgré l’opposition acharnée des écologistes. Les grands barrages, que Nehru appelait les  » nouveaux dieux de l’Inde « , tel celui de la Narmada, sont des catastrophes écologiques en puissance, déplaçant des dizaines de milliers de personnes, submergeant des temples millénaires et des milliers d’hectares de précieuses forêts. De nombreuses organisations écologiques ont par ailleurs averti qu’un autre mégabarrage, celui de Tehri dans les Himalaya, se situait en zone sismique; mais le gouvernement indien persiste. L’autoroute de la Côte Est qui doit relier Calcutta à l’extrême pointe de l’Inde veut se modeler sur celle de la Costa Brava et développer ainsi 2000 kilomètres de côtes touristiques. Mais le gouvernement indien feint d’ignorer que la Costa Brava fut un désastre écologique, défigurant tout le littoral avec ses millions de tonnes de ciment. Déjà entre Mahabalipuram et Pondichéry, des milliers d’arbres bicentenaires, des tamariniers, des banians, qui donnaient de l’ombre depuis plusieurs générations, ont été coupés, massacrés. Bizarrement, les villageois semblent indifférents, ne pensant qu’aux bénéfices matériels que cette autoroute leur apportera;  » ils ne soupçonnent pas la laideur, la saleté, la prostitution, la criminalité même, qu’elle amènera également avec elle « , soupire Ajit, membre d’INTACH, une organisation sociale qui milite au Tamil Nadu. En quelques années, des endroits de rêve, où des rizières vertes côtoient des dunes de sable blanc, le long de forêts de filarias, disparaîtront; et c’est toute une harmonie millénaire de vie tranquille au rythme de la nature, qui s’en ira aussi.  » Et tout cela bien sûr, accuse Ajit, est sponsorisé par la Banque d’Asie, une filiale de la Banque Mondiale et le gouvernement indien « .

L’INDE VA-T-ELLE VERS UN DESASTRE ECOLOGIQUE ? (IIEME PARTIE)

Benares. Tous les matins depuis cinquante ans, Hari Prasad se lève à 3.30 et après s’être dévêtu, descend religieusement les marches du ghat Kedarnath qui s’avance dans la rivière Gange. Là il s’immerge entièrement, y plongeant trois fois la tête, en marmonnant des prières sanskrites; puis en extase, il en boit quelques gorgées, après avoir chanté trois fois AUM, la syllabe sacrée des Hindous. Quand on lui fait remarquer que l’eau du Gange à Benares est si polluée qu’elle est même déconseillée aux animaux, il s’indigne:  » Ganga hardam swatch e « ,  » le Gange est éternellement pur « .

Car ici nous sommes dans la ville la plus ancienne, la plus sainte des Grandes Indes et il y a 5000 ans que les Hindous tiennent le Gange pour sacré. S’y baigner, c’est se purifier de tout mauvais karma; y mourir, c’est être sûr de bien renaître dans la prochaine vie.  » Et pourtant, accuse Navaroze, un écologiste indien, regardez donc ce que les Hindous ont fait – et font encore de leur Gange: ils y jettent leur morts; ils y urinent; ils y défèquent; et maintenant ils y déversent les déchets de leurs usines chimiques « . Et c’est vrai: ce même Hindou qui urine un peu pus haut, va tout à l’heure boire l’eau du Gange en aval, pensant ainsi se purifier. C’est comme si les Hindous pensaient que la qualité spirituelle de l’eau du Gange ne pouvait être entachée par la saleté matérielle. Et Navaroze de conclure:  » Le fleuve Gange semble être la parfaite illustration d’une religion qui exige de ses fidèles mille rites pour se purifier, mais laisse sa matière dégénérer « .

Pourquoi cette contradiction? Pourquoi cet immense paradoxe, qui semble responsable de la lente glissade de l’Inde vers la catastrophe écologique que beaucoup d’experts prédisent d’ici une vingtaine d’années ? Où sont les racines de cette négligence si flagrante en Inde pour l’environnement ? Les causes de cette ignorance de la beauté, de cette saleté et de cette laideur, qui choquent tant les Occidentaux à leur premier contact ici ? Ce pays avait pourtant autrefois un merveilleux sens de la beauté, comme en témoignent ses temples magnifiques, le Taj Mahal, Fathepur Sikri, ou les vestiges de Mohenja-Daro…Pour Navaroze, la faute en incombe aux Hindous:  » A un moment de leur histoire, l’intense et absolue aspiration mystique des Hindous vers l’Au Delà, leur éternelle quête de Dieu, devint si exclusive, si nihiliste, qu’ils commencèrent à négliger la matière. Les sages indiens se retirèrent de plus en plus dans les grottes des Himalaya, les ermites dans les forêts, leurs yogis perdirent tout intérêt pour cette enveloppe physique qui nous sert de corps et ils négligèrent notre bonne vieille terre « . Et graduellement une immense inertie, une terrible indifférence, s’empara de l’Inde. le Bouddhisme, lui non plus n’arrangea pas les choses, car il enseigne que tout ici n’est qu’illusion et que la seule chose à faire c’est de s’en sortir en atteignant le nirvana.  » C’est cette négligence généralisée de la Matière par l’Esprit, qui laissa les hordes successives d’Arabes envahir l’Inde, soutient Sitaram Goel, un écrivain indien. C’est ce désintéressement du mondain, qui permit aux Anglais de subjuguer le sous-continent pour deux siècles. C’est cette apathie envers le physique, qui tolère aujourd’hui la déforestation massive des Himalaya, la pollution des rivières et des villes, l’invasion de la saleté et du plastique « .

Pourtant tout espoir n’est pas perdu. Depuis quinze ans, une association fondée par Rajiv Gandhi s’efforce de sauver le Gange; des écologistes courageux, tels Medha Patkar, ou Arundhadi Roy, qui s’opposent à la construction du gigantesque et néfaste barrage de la Narmada, se battent pour ameuter l’opinion publique. Plus au sud, Auroville, la cité internationale située près de Pondichéry, ancien comptoir français, a prouvé que la Rédemption de la Nature est extrêmement rapide en Inde, si on y met de la bonne volonté. Quand les premiers pionniers débarquèrent en 1968, Auroville n’était qu’un plateau de latérite, cette terre rouge sur laquelle rien ne pousse et il n’y avait pas un seul arbre, hormis quelques palmiers. Pourtant les archives des temples parlaient d’une épaisse forêt peuplée d’animaux sauvages qui couvrait le plateau 250 ans auparavant. Mais la déforestation sauvage et les violentes moussons firent leur travail: la pluie emporta au cours des siècles la bonne terre dans l’Océan indien, créant d’immenses canyons et la nappe phréatique baissa de plus en plus. Les premiers Aurovilliens commencèrent donc par empêcher l’eau de mousson de s’écouler vers la mer, en érigeant des barrières de terre un peu partout, ce qui permit à la nappe phréatique de recommencer à monter. Puis ils s’empressèrent de planter un million d’arbres, les protégeant des sempiternelles chèvres et vaches, qui sont mortelles pour l’écologie indienne. Quand ces arbres commencèrent à pousser, leurs feuilles tombèrent et se décomposèrent, recréant en quelques saisons un humus fertile. Aujourd’hui, Auroville est une vaste forêt, la vie animale revient, les canyons se remplissent et les villageois ont tellement de bois à brûler qu’ils n’ont plus à couper d’arbres. Cependant ces mêmes villageois cultivent toujours l’arbre de cajou, que l’on doit pulvériser mainte fois de pesticides mortels pour obtenir une bonne récolte. Ils continuent à laisser l’eau de pluie s’écouler vers la mer, à composter leurs champs avec du terreau bon marché acheté aux dépotoirs municipaux, plein de plastiques, de détritus d’hôpitaux et de piles usagées.  » Il faut absolument EDUQUER les villageois de l’Inde, s’écrie Navaroze, leur inculquer la valeur sacrée de leur terre, car sans cette terre, la merveille qu’est l’Inde ne sera plus qu’une grande âme désincarnée « .

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