Au cours des derniers dix huit mois, quatre cents fermiers qui cultivaient le coton dans ce qu’on appelle en Inde ‘The Great Cotton Belt’ (la Grande Ceinture du Coton), dans les états de l’Andhra Pradesh et du Karnataka (tous les deux au sud du pays), se sont suicidés. Ces fermiers s’étaient tous endettés jusqu’au cou auprès de succursales de la compagnie indienne Mahyco, qui leur vendaient à crédit semences de coton, engrais, pesticides et herbicides.
Dan son bureau de Bangalore, capitale du Karnataka, le Professeur M. D. Nanjundaswamy (voir encadré), fondateur du Mouvement pour la Défense des Fermiers du Karnataka (Karnataka Rajya Ryota Sangha), et qui se bat depuis près de dix ans contre les OGM, accuse la multinationale agrochimique Monsanto (fabricant du fameux Agent Orange) d’avoir vendu à certains des fermiers qui se sont suicidés des semences de coton transgéniques, appelées en Inde B-Terminator (coton Bt), en prétendant que c’était de nouvelles graines hybrides qui leur assureraient une meilleure récolte. Le Professeur Nanjundaswamy rappelle que Monsanto U.S.A. avait auparavant racheté 36% des parts de Mahyco, la compagnie qui a vendu les semences aux fermiers du Karnataka et de l’Andhra Pradesh. “Ainsi, accuse-t-il, Monsanto a pu tester en toute impunité la qualité de ces graines transgéniques dans l’environnement indien”.
Mais apparemment, l’opération n’a pas été un franc succès. Que s’est-il donc passé ? “Avec les semences, avance le Dr Nanjundaswamy, Mahyco a vendu aux fermiers un herbicide à base de glyphosate également fabriqué par Monsanto (et vendu aux Etats Unis sous le nom de Roundup), aux propriétés extrêmement toxiques pour les êtres humains, en affirmant qu’un seul épandage suffirait à protéger contre les adventices qui envahissent les champs… ce qui n’a pas été du tout le cas. De plus, continue le Professeur, on leur a dit qu’une seule pulvérisation de pesticide suffirait également, car les graines étaient préalablement traitées contre les insectes”. Et les fermiers naïfs, de croire en ce pesticide miracle “qui en fait, prétend le Professeur, n’agit que contre une seule sorte d’insecte parasitaire”. C’est ainsi que les paysans se rendirent très rapidement compte qu’un seul épandage d’insecticide n’était pas suffisant, car les parasites semblaient développer une immunité au produit toxique contenu dans la plante. Les fermiers durent alors faire pulvérisation sur pulvérisation dans l’espoir de sauver leur récolte, s’endettant ainsi de plus en plus, car les herbicides et pesticides coûtent cher en Inde. “Certains des fermiers qui se sont suicidés avaient pulvérisé leur coton jusqu’à cinquante fois d’herbicide et de pesticide”, affirme le fondateur du KRRS, mais cela n’a pas empêché leur récolte de dépérir”.
Pourtant Monsanto a toujours affirmé que sa semence de coton B-Terminator est infaillible. Car n’y a-t-on pas, comme pour les autres graines transgéniques, prgrammée pour produire une toxine microbienne, le Bacillus thuringientis (Bt), active contre la pyrale, un papillon dont les chenilles sont souvent dévastatrices pour les cultures ? Et n’est-elle pas résistante à l’herbicide ‘total ‘ le plus usité, le fameux Roundup ? Premier problème : ces graines s’autodétruisent grâce à l’insertion dans le génome d’un mécanisme de suicide, généralement déclenché par la tétracycline, un antibiotique qui pourrait créer des poches de stérilité dans le fragile équilibre entre les végétaux et les organismes. “Ainsi, explique le fondateur du KRRS, les fermiers indiens, qui dans le temps préservaient une partie de leur récolte pour le prochain ensemencement, deviennent alors prisonniers des multinationales, telles Monsanto ou Kargil, qui verrouillent le marché indien, car après chaque récolte il doivent racheter un lot de semences à prix fort”.
Deuxième problème, toujours d’après le Professeur, non seulement la semence de coton B-Terminator ne serait pas du tout résistante aux parasites, excepté la pyrale, comme les suicidés de la Ceinture de Coton l’ont prouvé, mais elle aurait aussi des conséquences nocives pour l’environnement. Et le professeur Nanjundaswamy de les énumérer : “ tout d’abord, ses propriétés toxiques ont tendance à tuer aussi bien les parasites que les insectes ‘utiles’, tels les papillons ou chenilles, qui sont ensuite mangés par les oiseaux, les serpents, les crapauds, les crabes, les chats même. Ensuite, lorsqu’il pleut, ou lorsque les feuilles tombent sur le sol, les éléments toxiques présents dans la plante transgénique affectent les micro-organismes de l’humus et la fertilité du sol. Et enfin, une culture intensive de plantes transgéniques pourraient nuire à notre banque génétique en infectant le génome d’autres plantes par le bais du transfert de pollen, qui peut voyager jusqu’à deux kilomètres avec le vent, ou bien être transporté par un oiseau d’une plante de maïs transgénique par exemple, à une plante de maïs indigène”.
Le professeur Nanjundaswamy compare la catastrophe potentielle des graines transgéniques à celle provoquée par la soi-disant “révolution verte en Inde. “Elle a éliminé par pollinisation nombre de nos plantes indigènes qui possédaient par exemple des qualités de résistance à la sécheresse et à certains parasites propres à l’Inde, résistance que n’ont pas les plantes hybrides, qui sont beaucoup plus chères”. Quand on sait que 75% de la population indienne se consacre à la culture fermière, contre 10% pour la France et 2% pour les Etats Unis, on comprend que le problème des graines transgéniques pourrait être pour eux une question de vie ou de mort. Et le Professeur d’accuser Kargil et Monsanto de passer en contrebande des graines génétiques en Inde, comme ils l’on fait au Brésil, où Monsanto a été attrapée la main dans le sac à vendre des graines de soja transgéniques sous étiquette hybride.
Le professeur avertit de conséquences catastrophiques pour l’environnement mondial si la mise sur le marché des semences transgéniques n’est pas arrêtée. “Comme le Professeur Pusztai l’a prouvé dans ses tests (tests contestés par certains, il faut le souligner) sur des souris nourries de pommes de terre transgéniques, la croissance générale d’un être humain peut être affectée par les effets neurotoxiques, perturbateurs endoctriniens, procancérogènes et empoisonneurs métaboliques des polluants environnementaux. Il y aussi conjugaison en transfert des bactéries aux levures, aux animaux et donc à l’homme. Le soja transgénique cultivé aux Etats Unis, par exemple, se retrouve partout à cause de son prix bon marché et de ses protéines : dans le pain, la pâtisserie, les pizzas”…
Monsanto qui vient de retirer du marché ses graines B-Terminator, semble avoir donné raison au Professeur Nanjundaswamy, qui a réussi avec de petits moyens à tenir tête à de puissante multinationales. Mais déjà Kargil et Monsanto ont demandé la permission au gouvernement indien d’importer 40 séquences génétiques de constructions d’ADN en Inde… sans vouloir en révéler leur composition. La bataille n’est donc pas finie.
ENCADRE : UN ACTIVISTE FRANCOPHILE
Le Professeur M. D. Nanjundaswamy, 63 ans et père de deux enfants, est né dans une famille de fermiers du Karnataka. Après des études de Droit, qu’il pratique un moment, il étudie la biologie et se consacre à la protection du patrimoine génétique indien, fondant en 1990 le KRRS (Karnataka Rajya Ryota Sangha) qui base sa lutte sur les méthodes non-violentes du Mahatma Gandhi (non violentes à l’égard des personnes et non des biens). C’est ainsi qu’en 1993, il saccage, avec 1000 activistes l’usine de semences Kargil à Bellary et qu’un an plus tard, il mène un boycott contre l’implantation de Kentucky Fried Chicken à Bangalore. Le Professeur Najundaswamy est un aussi francophile assidu, qui a étudié un an à la Sorbonne et était cette année en France en tant que leader de la Caravane intercontinentale pour la destruction des OGM.
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