C’est un petit village perdu au fond du Gujarat (centre de l’Inde). Insignifiant oui, mais au bord de la Narmada, un des fleuves les plus sacrés des hindous. Là, sur la rive gauche de la Narmada, un tout petit ashram, avec une pancarte en gujarati qui dit “Sri Vidya”. Et Ô surprise, le gouru de cet ashram est un blanc - et même plus, un Français.
Né Gil Tardif, en juillet 1954, dans la ville de Valence, sur les rives du Rhône, le plus puissant des fleuves de France, Swami Jayramdas a une enfance normale, et dans les années soixante comme beaucoup de jeunes est fasciné par la musique des Beatles et des groupes américains de la côte ouest : « je passais des heures à écouter leurs disques, raconte-t-il aujourdh’ui, la musique était devenue pour moi une sorte d’opium même si je ne me suis jamais donné à la drogue. » Une fois son bac obtenu, Gil ne savait pas quoi faire : totalement non violent par nature, il était opposé à faire son service militaire. Déjà mystique par nature, il était à l’époque plongé dans l’études des Cathares et les mystiques Français du Moyen-Äge. Avec un groupe de camarades, il avait fondé une petite société occulte : « nous essayions de distinguer les auras autour de nos têtes et de percevoir les différentes enveloppes qui entourent notre corps physique », sourit-il.
Assoiffé d’aventures, il part en stop vers l’Afrique, et atterit à Mombassa, qui à l’époque s’enorguelliait d’une importante communauté indienne. c’est là qu’il tombe sur un immense temple hindou dédié au seigneur Shiva, dont il n’avait jamais entendu parler auparavent : « je n’avais plus d’argent, se rappelle t-il et plus rien à manger. Je me suis donc mis à prier – si c’est ici la maison de dieu, alors que dieu me vienne en aide. » la nuit allait tomber et Gil aperçoit le brahmane du temple et lui demande l’autorisation d’y dormir. Après le dîner, les deux hommes discutent et Gil raconte qu’il est sur le chemin de l’Inde car il cherche son Guru. Gil s’endort sur un banc en pierre et pendant la nuit, un étrange rêve lui vient. Le Pujari lui apparaît et lui dit que son « satguru » (son vrai guru) l’attend en Inde et que toutes ses vies antérieures l’ont préparé pour ce moemnt. Quand il se réveille Gil pleure de ses chaudes larmes, il reste donc plusieurs mois dans ce temple où on lui alloue une petite pièce près de l’autel. C’est là qu’il commence à être initié au puja, au lagnas ( qui sont des purifications par le feu) et au satsang, là où les fidèles entonnent des chants dévotionnels au dieu Shiva. Puis il quitte Monbassa sur un bateau et atteint Bombay le 23 mai 1974 – cela faisait six mois qu’il avait quitté la France. Il avait l’équivalent d’un euro en poche.
Le lendemain, il achète un billet de troisième classe pour Aritvar, la ville sacrée pour tous les Hindous, là où le Gange pénètre avant les plaines. Il lui restait 50 paisa (7 cents d’euros). C’est là qu’il devint Sâdhu, c’est-à-dire qu’il ne possédait plus rien hormis deux pagnes de tissu orange, l’un pour se couvrir la taille et l’autre pour se couvrir sa poitrine, ainsi qu’un bol en fer dans lequel il faisait ses ablutions du matin et se nourrissait. Un jour, il accompagne un ami à Rishikesh, un peu plus haut sur le Gange, pour rencontrer un sage : c’était le soir écrira t-il plus tard, nous sommes entrés dans le Kutir (cabane) par une vieille porte en bois, un sâdhu était assis là sur un petit fauteuil en bambou et tout de suite je ressentis une aura de paix, d’amour et de lumière ». Gil avait trouvé son Guru et se prosterna à ses pieds.
Très vite, son guru … l’initie au tantrisme : il le fait asseoir à côté de lui et lui commande de fermer les yeux : « j’ai d’abord senti des vagues glacées se rapprocher puis après avoir perçu les lumières, je vis un grand cobra doré – c’est alors que mon corps se mis à se mouvoir d’avant en arrière, tel un cobra alors que ma tête se redressait. Son guru lui expliqua que toutes ces expériences étaient le résultat de l’éveil de la Kundalini, cette source d’énergie à la base de la colonne vertébrale, qui grâce à certaine pratique ou par la grâce du guru se lève vers la tête en parcourant les 7 chakras reconnus par les Hindous pour finir en apothéose au sommet de la tête. Très vite, son guru… lui donne le nom de Swami Jayramdas, ce qui veut dire… et lui enjoint, comme le font encore tous les sadhus, de se rendre à pied au quatre grands de pèlerinage de la religion hindoue : Kédarnath au nord, Puri dans l’Etat de l’Orissa à l’Est, Rameshwaram dans l’Etat du Tamil Nadu au sud et à l’Est …
En 1998, après la mort de son guru, Swami s’installe à Nikora. On lui donne un terrain abandonné et avec l’aide de quelques amis, il construit son petit ashram. Pourquoi la Narmada ? « C’est la kundalini shakthi, on dit même que Parvathi, l’épouse de Shiva vit au bord de la Narmada : cette rivière a une puissance spirituelle extraordinaire, elle est très belle, très calme et n’est pas polluée. »
D’ailleurs, ce matin là, alors que le soleil se lève derrière la Narmada, Swami Jayramdas est assis dans son jardin, auprès d’un autel qui a la forme d’un yoni, le vagin sacré de la femme. Une petite cloche à la main qu’il sonne frénétiquement, l’autre main figée dans un mudra, c’est-à-dire une sorte de verrou énergétique, en touchant certains doigts de certaine manières, il répète des mantras en sanskrit, alors qu’un disciple offre différents liquides à la divinité – du lait, du miel, l’eau de safran etc. et que ses autres disciples ferment les yeux, obnubilés et emportés par ce moment sacralisé.
Le srividya est inspiré du vedanta qui ouvre dans le cœur les voies de la bakthi, c’est-à-dire de la dévotion, avec cette simple interrogation : « qui suis-je ? »
C’est le soir au bord de la Narmada, le fleuve coule, paisible et puissant, conférant à tous un sentiment de quiétude. Swami Jayramdas, comme tous les Sadhus et guru qui vivent au bord de ce grand fleuve, lui expriment sa reconnaissance en faisant tournoyer autour de sa tête l’aarthi, le feu qui symbolise à la fois la dévotion et l’aspiration à faire brûler toutes les imperfections de l’homme. Puis, il dépose sur le rivage, un petit récipient fait de feuilles tressées de bambou dans lequel brûle du camphre. Peu à peu, la flamme portée par le courant s’estompe puis disparaît.
Encadré
Qu’est-ce que c’est que le tantrisme ? C’est une discipline ésotérique du shaktisme, qui est l’adoration de l’aspect féminin du divin. Swami Jayramdas pratique une branche du tantrisme qu’on appelle le « srividya », discipline qui comporte beaucoup de pujas, qui sont des rituels destinés à la fois à éveiller l’attention de la shakti ainsi que la divinité en soi, ainsi que des mantras, qui sont des mots initiatiques communiqués de guru à disciple, qui eux aussi ont un pouvoir spirituel ainsi que de pranayama et de la méditation.
Comentarios