INDE. La mort samedi dernier d’une jeune fille qui fut la victime d’un horrible viol collectif à New Delhi, a secoué toute l’Inde.
Il est une heure du matin, à Saket, dans la banlieue chic de Delhi. Amanat, 23 ans (son vrai nom a été gardé secret), une interne en kinésithérapie et son petit ami, Pramod (également un nom fictif), 28 ans, ingénieur informaticien, sortent d’un cinéma et cherchent un transport pour rentrer chez eux. Pas de rickshaws (tricycles motorisés) à cette heure tardive. Ils trouvent cependant un de ces bus scolaires, délabrés et vétustes, qui n’est pas en service, mais dont le chauffeur accepte de les prendre en charge pour le prix d’un billet de bus normal. Cinq hommes sont également à bord.
Un kilomètre plus loin, le chauffeur s’arrête. Les cinq autres hommes battent Pramod à coup de bars de fer, puis en compagnie du chauffeur de bus, violent la jeune fille à tour de rôle, la sodomisent, lui enfoncent une barre de fer rouillée à l’intérieur de son vagin, puis jettent les deux corps nus inanimés hors du bus. Un passant les retrouve et la jeune fille est emmenée d’urgence à l’hôpital de Safdarjang, où son état est jugé très grave.
Normalement, ce genre de nouvelle passe inaperçue dans un pays où un viol est commis toutes les dix huit heures et près des 256.329 crimes violents enregistrés en 2011, ont eu une femme pour victime. Mais nous sommes à la fin de 2012, qui a été une année difficile en Inde : de nombreux scandales de corruption au plus haut niveau gouvernemental ont secoué le pays et ont donné naissance à un exceptionnel mouvement de masse contre la corruption, celui d’Anna Hazare. Il y a également parmi Indiens, une aversion de plus en plus grande de la police, dont 35% des effectifs sont consacrés à la protection des hommes politiques, au détriment de celle du peuple.
Alors les Indiens de la capitale descendent dans la rue – des étudiants et des femmes surtout. Soudain, Amanat est devenue le symbole d’un ras le bol du gouvernement du Congrès de Manmohan Singh, qui est associé à une image de corruption et même de despotisme. Alors que la jeune femme est entre la vie et la mort, les jeunes manifestants se heurtent à la police devant le ministère de l’intérieur et le palais du Président indien. Plusieurs étudiants sont blessés lors de violentes charges au lathi (bâton) et un policier succombe à une crise cardiaque. Toutes les télévisions relaient ces affrontements – et soudain, c’est une tragédie, qui transcende toutes castes et ethnies de la vaste mosaïque indienne : « le viol collectif d’Amanat, ressemble à l’immolation de Mohamed Bouazizi, qui a mis le feu à la Tunisie », commente le journal Indian Express.
Le gouvernement indien, qui jusque là somnolait, se réveille : Très vite les six hommes sont arrêtés et on dresse un procès verbal de 1000 pages ! Le ministre de l’intérieur promet également de faire promulguer une loi qui punira les violeurs de la peine de mort et éventuellement de la castration chimique et Sonia Gandhi, présidente du Congrès et l’Eminence Grise du gouvernement, reçoit une délégation d’étudiants dans a forteresse du 10 Janpath, l’avenue la plus huppée de Delhi. Enfin, on transfère la jeune violée à Singapour afin qu’elle puisse y recevoir de meilleurs soins. Mais tout cela ne suffit pas à calmer les esprits : « 30% de nos députés sont accusés de crimes divers, dont des agressions sexuelles – pourquoi ne démissionnent-ils pas tous », s’exclame Pooja Handa, une étudiante de l’université JNU de Delhi ! Le gouvernement durcit alors le ton : toutes les stations de métro du centre de la capitale sont fermées et on interdit les manifestations devant le parlement et le palais du président.
Samedi dernier, Amanat meurt à Singapour et est rapatriée dans la nuit de dimanche dans un avion spécial affrété par le gouvernement. « Brave Heart has died », titrent les journaux indiens. Amanat est incinérée le même jour au crématorium de Dwarka, en présence de sa famille, mais hors du regard indiscret de la presse. On apprend cependant qu’elle devait se marier avec son petit ami en février prochain et que sa famille, issue d’une basse caste de l’Uttar Pradesh, l’état le plus peuplé de l’Inde, avait vendu ses terres, afin de payer ses études.
Le sacrifice d’Amanat sera-t-il en vain ? Les étudiants sont rentrés chez eux, car il fait très froid à Delhi (4° le 1er janvier) et hormis quelques paisibles veillées de protestation à la bougie, tout semble être redevenu comme avant. Le Haut Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Navi Pillay, une femme d’origine indienne, a cependant demandé lundi dernier que l’Inde initie « un débat d’urgence », sur les mesures à prendre pour faire face à ces « crimes terribles ». Elle citait entre autre, la récente immolation d’une jeune intouchable de 16 ans dans l’état de l’Haryana, près de Delhi, après que la police ait refusé de prendre en compte sa plainte pour viol.
Quelques voix se sont cependant élevées, pour rappeler que la femme, même si elle est en butte en Inde à de nombreux abus, a toujours bénéficié d’une place importante dans la société indienne : « elle est vénérée ici comme la Shakti (l’Energie) en Inde, argue Swapan Dasgupta, un journaliste de la capitale ; quelques uns des nos plus grands guerriers étaient des femmes : la Rani de Jhansi qui se battit contre les Anglais et mourut les armes à la main ; Indira Gandhi, bien avant Margaret Thatcher, régna sur l’Inde avec une main de fer pendant près de 20 ans et sa belle fille, Sonia est aujourd’hui l’autorité suprême en Inde».
De New Delhi, FRANCOIS GAUTIER
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